LA ROMANISATION DANS NOTRE REGION

1) PEUPLEMENT ET CENTURIATION

Le vicus de l’époque gallo-romaine n’est pas un village au sens où nous entendons ce mot aujourd’hui, c’est-à-dire un groupement d’exploitations agricoles serrées les unes contre les autres ; bien au contraire c’est la dispersion, et l’on vit sur le lieu même de l’exploitation agricole.

La paix romaine favorisera l’implantation le long des voies romaines et des rivières. Si la voie sert à unir les groupements humains déjà établis, elle contribue également à en créer de nouveaux.

La Romanisation va donner une impulsion décisive au peuplement de notre région. Le port de CORRE permet l’extension du peuplement gallo-romain en amont de la localité le long de la Saône et de ses affluents. Les premiers défrichements sont visibles au centre du bassin des sources de la Saône, depuis le bois du Bigneuvre de Tignécourt jusqu’à la forêt de Darney. L’extension de la zone gallo-romaine de Corre atteignit sont apogée après la construction de la chaussée romaine de Langres à Strasbourg qui passait à Ainvelle. Elle ouvrait une large brisée au Nord-Ouest du bassin des sources de la Saône. Dès lors une circulation directe et régulière s’organisait entre Corre et la chaussée romaine, à travers un bassin à demi défriché.

C’est à cette période que les premiers colons " italiens ", parfois même gaulois quand ils ont su se rallier suffisamment tôt, et des vétérans des légions que l’empereur veut récompenser, vont commencer à s’installer en remontant le Rhône et la Saône pour arriver dans notre région.

Les arpenteurs romains se mettent au travail : ils tracent un réseau géométrique de parcelles, avec des limites se coupant à angle droit. La campagne sera " construite " géométriquement, elle sera embellie car, pour Rome, la beauté est d’ordre mathématique. La ligne droite va, là comme ailleurs, se substituer aux tracés curvilignes et aux entrelacs celtiques : ce que l’on sait des habitats gaulois, comme de leurs voies de communication et de leurs parcellaires, est en opposition totale avec cette orthogonalité fondamentale, introduite par les Conquérants qui vont pouvoir réaliser dans les provinces ce qu ils n’ont pu réaliser chez eux.

Les arpenteurs romains se servent de la " groma ", essentiellement constituée de quatre fils à plomb permettant d’effectuer des jalonnements sur angles de 90 degrés. Chaque lot carré, ainsi délimité, appelé centurie, mesurait le plus souvent environ 710 x 710 m (correspondant à 20 " actus "), soit 50 hectares ou 200 jugères. Les limites de ces centuries étaient marquées par des bornes de pierre et entourées de chemins. Leur orientation était presque toujours Est-Ouest (decumanus) et Nord-Sud (cardo).

Les centuries étaient souvent divisées en plusieurs lots. Il est bien évident que si notre région a été touchée par la centuriation, la division des centuries n’a pu que correspondre aux possibilités limitées des étendues cultivables ou à celle des pâturages. La détection aérienne de notre région permettra peut-être un jour la découverte des centuriations fossiles :

 

2) LA VILLA GALLO-ROMAINE

C’est une exploitation agricole comprenant un ensemble de bâtiments nécessaires à la mise en culture et à l’élevage. La résidence du maître est souvent luxueuse, elle peut comprendre des thermes, un chauffage par le sol et les murs, des mosaïques et des peintures murales.

La surface de l’exploitation peut être de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares, suivant la richesse des terres. Elle est construite et exploitée par un colon italien ou un légionnaire vétéran que l’empereur veut récompenser.

La villa gallo-romaine comprend la maison du maître (pars urbana), les bâtiments agricoles (pars rustica) et une ou plusieurs cours agricoles (pars agraria). Bâtiments d’habitation et bâtiments agricoles sont groupés autour d’une cour généralement ouverte.

Pour construire cette villa, rien d’improvisé ; l’on reprend les plans et les matériaux éprouvés en Italie et dans le Sud de la Gaule. La disposition des lieux, les ouvertures et les cours seront adaptées aux nouvelles conditions climatiques.

La Gaule va devenir le grenier à grains de Rome. César, dans son Livre Premier sur la GUERRE DES GAULES f XL, alors que ses légionnaires se soucient du ravitaillement, mentionne déjà :

" Il s’occupait de cette question : du blé, les SEQUANES, les Leuques, les Lingons en fournissaient, et les moissons étaient déjà mûres dans les champs ".

3) LA CONSTRUCTION DE LA VILLA GALLO-ROMAINE

VITRUVE, le grand architecte romain qui vécut sous les règnes des empereurs César et Auguste, a écrit un traité d’architecture en 10 livres qui est à la base des nombreuses et gigantesques constructions dans l’empire romain. Il y a bien des controverses au sujet des théories énoncées par VITRUVE, mais il y a une telle constante dans le choix des matériaux, dans l’édification des murs, des bâtiments, des thermes et des aqueducs qu’il nous semble intéressant d’en citer les principales. Nous avons visité des dizaines de sites en Italie et en France, nous avons toujours retrouvé la même composition du fameux mortier rose romain, la même conception pour la construction des hypocaustes (chauffage par le sol), les mêmes sols en terrazzo (blocage à la chaux de tuileaux et pierres dressés et poncés) que nous sommes bien obligés de penser que seul son traité d’architecture a permis sur une période de plus de 4 siècles une telle similitude dans les différentes constructions de l’immense empire romain.

A) Le choix du site :

Ce sont les indications énoncées au début de ce fascicule. Le site d’Ainvelle correspond très précisément aux recommandations de VITRUVE. Il approuve fort la manière dont usaient les Anciens, qui était d’examiner le foie des animaux qui paissaient dans les lieux où ils voulaient bâtir. Après avoir ouvert plusieurs bêtes et examiné leurs foies, il ne fallait qu’aucun ne soit gâté, ce qui indiquait de bonnes eaux et de bons pâturages. L’acidité de l’eau était contrôlée en versant quelques gouttes sur une plaque de cuivre, sa pureté, après l’avoir fait boullir et examiné les dépôts.

B) L’eau

Les Romains excellent dans ce domaine. L’eau est omniprésente, elle alimente notamment les thermes et les fontaines ; et ruisselant dans les égouts, les caniveaux, les latrines, elle symbolise en quelque sorte le nouveau mode de vie introduit par Rome. Le Romain aime voir couler l’eau, il aime l’entendre. Il n’y a rien de changé aujourd’hui à Rome, ville des fontaines et du farniente.

L’eau sera amenée par aqueduc, par canalisation. Si besoin est, les obstacles seront franchis par la méthode du siphon, en mettant en application le principe des vases communicants. On descend l’eau au fond de la vallée puis on la remonte de l’autre côté à un niveau légèrement inférieur, uniquement au moyen de tuyaux.

Pour notre villa une source suffirait, mais à défaut VITRUVE recommande la recherches suivante :

" Pour connaître les lieux où il y a de l’eau, il faut un peu avant le lever du soleil, se coucher sur le ventre, ayant le menton appuyé sur la terre où l’on cherche de l’eau et regarder le long de la campagne : car le menton ainsi planté sur le sol la vue ne s’élèvera pas plus haut qu’il est nécessaire, mais s’étendra seulement juste au-dessus du niveau du sol. Si l’on voit en quelque endroit une vapeur humide s’élever en ondoyant, il faudra fouiller, car cela n’arrive pas dans les lieux qui sont sans eau. A ces endroits ayant creusé la terre de la largeur de trois pieds (90 cm) et d’une profondeur de 5 au moins (1,50 m) on posera au fond lorsque le soleil se couche, un vase d’airain ou de plomb : ce vase étant frotté d’huile à l’intérieur et renversé, on le recouvrira de branches et de feuilles, ensuite avec de la terre. Si le lendemain l’on trouve des gouttes d’eau attachées aux parois intérieures du vase, cela signifie que ce lieu a de l’eau. On peut faire la même recherche avec un vase de terre non cuite qui deviendra moite et détrempé par l’humidité. Il faudra ensuite creuser un puits jusqu’à la découverte de l’eau. Plusieurs puits seront alors creusés aux alentours et il suffira de les réunir par une conduite souterraine. "

" On peut conduire les eaux de trois manières : un canal couvert de maçonnerie, des tuyaux en plomb ou des tuyaux de poterie. "

VITRUVE conseille pour la santé les tuyaux de poterie.

" Pour conduire l’eau et pour niveler on se servira du Chorobate qui est une règle longue d’environ vingt pieds. A chaque extrémité pendent deux plombs, sur le haut de la règle on creuse un canal de cinq pieds de long, large d’un doigt et creux d’un doigt et demi. Ce canal sera rempli d’eau et permettra de s’assurer que le chorobate est bien de niveau. On procédera ensuite aux visées. "

 

C) Les matériaux

" Il faut que les murailles soient bâties de petites pierres, afin que le mortier de chaux et de sable pénètre les pierres en plus d’endroits et les retienne mieux. Les pierres boivent et absorbent l’humidité du mortier. Il est donc souhaitable qu’il y ait beaucoup de chaux et de sable pour éviter que par leurs pores elles absorbent toute l’humidité du mortier ce qui entraînerait que la chaux quitte le sable et que les pierres ne seraient plus attachées ensemble ".

" Le sable utilisé ne doit pas être terreux. Le meilleur sable en général est celui qui frotté entre les mains fait du bruit. "

" La chaux devra être faite avec des pierres blanches les plus pleines et les plus dures. Quand la chaux sera éteinte au moyen d’une lame on fera des copeaux pour contrôler qu’il ne reste pas des petits grains de pierre, si l’on en trouve on laissera reposer la chaux pour abreuver ces petits grains. "

D) Le mortier rose romain

" Quand la chaux sera éteinte il la faudra mêler avec deux parties de sable de rivière, contre une de chaux car c’est la plus juste proportion de leur mélange qui sera encore beaucoup meilleur si on ajoute au sable de rivière une troisième partie de tuileaux pilés et tassés. "

Le sondage B 11 du site archéologique d’Ainvelle montre des enduits au mortier rose ayant défié le temps.

E) Les bains – Le chauffage par hypocauste

" Il faudra tourner leurs fenêtres au couchant d’hiver, parce que le temps de se baigner, suivant la coutume, est depuis le midi jusqu’au soir. Le plancher des étuves qui doit être creux et suspendu sera ainsi fait. Il faut premièrement faire un pavé avec des carreaux d’un pied et demi qui aillent en penchant vers le fourneau ; car par ce moyen la flamme ira plus facilement sous tout le plancher suspendu. Sur ce pavé on bâtira des piles avec des briques de 8 pouces, disposées et espacées en sorte qu’elles puissent soutenir des briques carrées de 2 pieds. Ces piles seront hautes de 2 pieds et maçonnées avec de la terre grasse mêlée avec de la bourre. On pourra contrôler la pente du plancher des étuves au moyen d’une boule d’argile qui devra redescendre en roulant vers le fourneau " (praefurnium).

F) Les sols en terrazzo

" Il faut aplanir la terre si le lieu est solide mais si il est de terre rapportée il faudra la battre avec le bélier pour bien l’affermir. La première couche sera faite avec des pierres pas moins grosses que le poing sur lesquelles on étendra une épaisseur faite de cailloux mélangés dans la proportion de une partie de chaux pour trois de cailloux, on la fera battre longtemps par des hommes munis de béliers, en sorte qu’après avoir été suffisamment battue cette couche mesure pas moins de neuf pouces d’épaisseur ; là-dessus on fera le noyau qui n’ait pas moins de six doigts d’épaisseur ; il sera fait avec du ciment auquel on mettra une partie de chaux pour deux de ciment. Sur ce noyau on mettra le pavé bien dressé à la règle, il sera fait de petits cailloux et de tuileaux. Par dessus on couchera une composition faite de chaux et de sable. La pente doit être avec une élévation par le milieu de deux doigts pour six pieds. On usera avec le grès pour que tout soit égal et uni ".

 

G) Les mosaïques

C’est le même travail que ci-dessus, la dernière couche étant remplacée par les tesselles que l’on applique sur la composition faite de chaux et de sable fin, dans laquelle on trouve souvent des tuileaux finement broyés. Les tesselles sont disposées suivant le motif à reproduire et légèrement tassées, pour faire remonter l’enduit entre les jointures.

Pour terminer ce chapitre sur VITRUVE, il nous semble indispensable de parler de son LIVRE VI f II intitulé : Des Proportions et des Mesures que les Edifices des Particuliers doivent avoir.

" Le plus grand soin qu’un Architecte doive avoir c’est de proportionner tout son édifice avec toutes les parties qui le composent, et il n’y a rien qui fasse tant paraître son esprit que lorsque sans le départir des règles générales qui sont établies pour la proportion, il peut ôter, ou ajouter quelque chose selon que la nécessité de l'usage et la nature du lieu le demandent, sans que l'on puisse rien trouver à redire, ou que la vue en soit offensée.

Je ne crois pas que l’on doive douter qu’il ne soit nécessaire d’ajouter ou de diminuer en changeant les proportions, quand la nature des lieux le demande, pourvu que l’on ne touche point aux choses essentielles ; et c’est à cela que l’esprit et la doctrine sont fort nécessaires ".

PAR CETTE DERNIERE CITATION, VITRUVE NOUS INDIQUAIT DEJA, IL Y A TRES PRECISEMENT 2000 ANS, QUELLES ETAIENT LES LIMITES DU RAISONNABLE ET DU TOLERABLE POUR CONSTRUIRE BEAU ET HARMONIEUX. PUISSIONS-NOUS NOUS EN INSPIRER.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Roger AGACHE, Archéologia, les villas gallo-romaines, Dijon, 11/81.

Claude PERRAULT, " Les dix livres d’architecture de VITRUVE ", Paris, Mardaga, 1979.