Dans une région comme le bassin des sources de la Saône, où des vestiges gallo-romains et mérovingiens (Ier - VIIe siècles) ont été exhumés en nombre suffisant, une enquête sur ces vestiges et sur leurs sites présente un intérêt particulier : celui de recueillir des indications sur les principales zones de fixation des habitats et sur les principaux axes de circulation, infrastructures de la vie économique aux époques considérées.

En l'état actuel de nos connaissances, ces indications peuvent être recueillies à trois sources : les vestiges exhumés et leurs sites ; les formes médiévales les plus anciennes des noms des communes actuelles ; les vocables les plus anciens des lieux de culte, ces deux dernières sources venant en complément de la source essentielle, indispensable : l'archéologie.

Si les indications fournies sont suffisamment nettes (une sélection rigoureuse s'impose), on peut les porter sur des cartes, où apparaîtront les infrastructures de la vie économique : zones de peuplement et axes principaux de circulation. Ces cartes pourront ensuite être utilisées comme bases de départ d'une enquête sur l'évolution économique et politique de la région au cours des époques suivantes.

Nous avons pu ainsi réaliser trois cartes où figurent les résultats de notre enquête. Chaque carte est accompagnée d'un texte qui permet au lecteur de suivre l'enquête, la recherche des preuves.

La Saône naît au sud de la Lorraine, au milieu d'une clairière de la Vôge, cette bordure de hauts plateaux gréseux, couverte aujourd'hui encore de vastes forêts.

                                                                         

1 - Ameuvelle 11 - Saint-Julien 21 - Provenchères-lès-Darney 31 - Bleurville
2 - Bousseraucourt
12 - Isches
22 - Senonges 32 - Thuillières
3 - Grignoncourt 13 - Mont-lès-Lamarche   23 - Relanges 33 - Dombrot-le-Sec
4 - Lironcourt 14 - Serécourt  24 - Bonvillet 34 - Lamarche
5 - Senaide 15 - Morizécourt 25 - Belrupt 35 - Aureil-Maison
6 - Ainvelle 16 - Frain 26 - Belmont 36 - Tignécourt
7 - Les Grands Thons  17 - Serocourt 27 - Nonville 37 - Regnévelle
8 - Les Petits Thons  18 - Marey 28 - Attigny 38 - Martinvelle
9 - Fignévelle   19 - Gignéville 29 - Hennezel
10 - Godoncourt  20 - Viviers-le-Gras 30 - Claudon

Nous sommes au sud-ouest du département des Vosges, la Haute-Marne est proche à l'ouest, la Haute-Saône au sud. La Lorraine confine ici à la Champagne et à la Franche-Comté. Moins de 30 km, à vol d'oiseau, séparent le territoire du village de Vioménil, où naît la Saône, et celui de Châtillon-sur-Saône, où elle quitte le département des Vosges. A 3 km de Châtillon vers le sud, à Jonvelle, nous entrons dans le pays haut-saônois de Corre et de Jussey; à 3 km de Châtillon vers l'ouest, à Fresnes-sur-Apance, nous pénétrons dans le pays haut-marnais de Bourbonne-les-Bains. [1]

Jusqu'à Monthureux-sur-Saône, c'est-à-dire sur les vingt premiers kilomètres de son cours, la Saône traverse la zone forestière de la Vôge, qui recouvre le nord-est du bassin.

Mais, au sud et à l'ouest de Monthureux-sur-Saône, le paysage change : les grands bois s'éloignent à l'horizon, la vallée s'élargit sur sa rive droite, amplement défrichée, parsemée de villages. De la Vôge gréseuse et forestière (Pays de Darney), nous sommes passés en pays de muschelkalk : pays très ouvert au sud, où la vallée de la Saône ne cesse de s'élargir ; ouvert aussi vers le nord-ouest et le nord, où il communique directement avec le plateau lorrain par un véritable isthme de muschelkalk, bien visible sur notre carte, entre les deux zones forestières qui fermant le bassin à l'ouest et à l'est.

L'historien ne saurait trop insister sur cette ouverture du bassin vers le nord et le nord-ouest. A la suite d'une malheureuse erreur cartographique, dénoncée au début de ce siècle par Lucien Gallois [2], nous continuons de désigner sous le nom de "Monts Faucilles" la suite de « hauts » et de « monts », infléchis du nord-ouest au sud-est, qui semble fermer de ce côté le bassin : en fait, il s'agit tout simplement de sa bordure, mais d'une bordure ici particulièrement "ébréchée", à la suite d'accidents tectoniques très anciens (effondrement de la couche de muschelkalk qui recouvrait le bassin) et de phénomènes d'érosion subséquents.

En réalité, du sud au nord du bassin, à travers ce large couloir de muschelkalk ouvert entre les deux zones forestières, aucun obstacle sérieux ne s'interpose, ni dorsale montagneuse, ni sols impropres aux herbages ou aux cultures. Cette constatation géographique ne devra pas être oubliée lorsque sera examinée la question historique des limites anciennes dans le bassin.

Les zones gallo-romaines de Corre et de Bleurville


1. "Les Jonvilotes" (Jonvelle)

2. Châtillon-sur-Saône

3. "La Côte Gaillancées" (Bousseraucourt)

4. Bleurville

5. "Les Vignottes" (Monthureux-sur-Saône)

6. "La Perche" (Monthureux-sur-Saône)

7. "Le Maublot" (Monthureux-sur-Saône)

8. "Le Bigneuvres" (Tignécourt)


I. - Les zones gallo-romaines de Corre et de Bleurville

L'archéologie gallo-romaine offre à l'historien une base particulièrement solide pour ses recherches sur les origines du Moyen Age en France. La localisation de vestiges gallo-romains attestés rend, en effet, possibles d'abord un repérage des principales zones de peuplement, ensuite une détermination, au moins dans leurs directions principales, des axes de circulation, fluviale et routière, à l'origine de ces zones.

Il existe actuellement, au sud du bassin des sources de la Saône, trois zones de vestiges gallo-romains exhumés : la zone de Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne), au sud-ouest ; la zone de Luxeuil (Haute-Saône), au sud ; et la zone de Corre (Haute-Saône), entre Bourbonne et Luxeuil.

Les zones de Bourbonne et de Luxeuil, développées à proximité de sources thermales actives et fréquentées, sont bien connues. Celle de Corre l'est moins, mais son importance vient d'être confirmée par une étude récente et deux campagnes de fouilles en amont de Corre, à Jonvelle et Bousseraucourt. Si l'on ajoute à ces trois localités Châtillon-sur-Saône (Vosges), en amont de Jonvelle, où des vestiges gallo-romains furent exhumés au XIXe siècle, cette extension de la zone archéologique de Corre met en relief le rôle joué par la Saône comme axe de peuplement et l'importance de Corre à la source de ce peuplement [3].

Le cimetière gallo-romain de Corre s'étendait au nord du village actuel. Une partie des monuments funéraires furent réemployés pour la construction d'un couvent. Hélène Walter a pu étudier 41 stèles ou fragments de stèles, dont 31 sont conservés au Musée de Vesoul. Des débris d'autels et de statues ont été trouvés dans les fondations de la chapelle Saint-Maurice, détruite peu avant la Révolution; des sarcophages en pierre, avec couvercle, sans inscription, à l'intérieur et autour de l'enceinte de cette chapelle. Au XIXe siècle, les cultivateurs de Corre et des environs réemployaient de très nombreux sarcophages comme auges de pierre, pour abreuver le bétail.

Station gallo-romaine à la lisière sud de la Vôge forestière, port fluvial au confluent de la Saône et du Coney, accessible aux embarcations légères, Corre servait encore de gîte d'étape, en 356, aux troupes du César Julien en marche vers le Rhin. Pourtant les incursions germaniques de la seconde moitié du IIIe siècle avaient dû lui porter des coups sévères - aucun des monuments .funéraires trouvés à Corre n'a pu être daté d'un siècle postérieur au IIIe. Mais la circulation militaire et commerciale, intense dans les régions du nord--est de la Gaule en contact avec le Rhin et les nombreux stationnements de troupes nécessaires à sa défense, permettait au carrefour de Corre de rester un centre actif au IVe siècle, en dépit de l'absence de fortifications et malgré la présence, en aval, d'un port fluvial sans doute fortifié, le "Portus Abucinus » (Port-sur-Saône) [4]

Une autre zone de vestiges gallo-romains exhumés existe au centre du bassin des sources de la Saône. Des fouilles y furent, conduites en 1821, par Jollois, dans le village de Bleurville.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique, Jollois avait participé à l'expédition de Bonaparte en Egypte (1798-1799), où, chargé de travaux hydrauliques dans le Delta, il s'était également initié à l'archéologie [5]. Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département des Vosges, il prospecta le terrain à Grand, à Soulosse, à Châtel-sur-Moselle, au Donon et à Bleurville. Après sa mort (1842), l'ensemble de ses notes, comptes rendus et rapports de fouilles rédigés pendant son séjour dans le département des Vosges fut publié sous le titre : «Mémoire sur quelques antiquités remarquables du département des Vosges » [6].

Les fouilles de Bleurville font l'objet d'un chapitre de cet ouvrage (le quatrième, pp. 109-125) et de cinq planches (26-30) annexées au Mémoire. Un établissement de bains existait à Bleurville depuis l'époque gallo-romaine. Une partie du bassin d'eau froide était encore visible au XVIIIe siècle [7]. Jollois dégagea le bassin (28 m x 7 m) et la source qui l'alimentait ; il exhuma deux médailles du Haut-Empire (aux effigies de Nerva et de Trajan), des fragments de mosaïque, un laraire (conservé au Musée départemental des Vosges) et, au sud-ouest du bassin, la cave d'une étuve. Il repéra également, à l'est du village, sur le chemin de Darney, les restes d'une chaussée romaine. Le Musée départemental possède un lion en grès, long de deux mètres, exhumé au cours des travaux de construction de l'école de Bleurville.

Depuis les fouilles de Jollois, d'autres trouvailles ont été faites aux environs, sur les territoires de Monthureux-sur-Saône et de Tignécourt.

A. Trouvailles faites sur le territoire de Monthureux-sur-Saône[8]

1. Pierre de sable (1,67 m x 0,72 m) avec inscription funéraire en lettres onciales.

Date de la trouvaille : 1841 (cf. Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1841, p. 399). Elle est décrite dans le Mémoire sur quelques antiquités remarquables du département des Vosges publié en 1843, un an après la mort de Jollois.

Lieu de trouvaille : sur la «butte des Trois Poiriers, entre la Deuille, le Caubitch et le Morzelieu» (canton des Vignottes), selon Didier-Laurent.

2. Débris de stucs et de mosaïques -, fondations de murailles sur une longueur de 80 met une largeur de 25 m, avec une saillie en hémicycle; deux monnaies aux effigies, l'une de Faustine, l'autre d'Antonin (IIe siècle).

Date des trouvailles : fouilles entreprises en 1850.

Lieu des trouvailles : "vers le sud du lieu-dit le Morzelieu" (canton des Vignottes), selon Didier-Laurent.

3. Quatre monuments funéraires en grès, à personnages (dont la tête manque) :

a) un fragment de stèle, représentant une femme debout, drapée, tenant de la main droite un gobelet et, de l'autre, une "mappa",

b) un fragment de stèle, représentant un homme debout, drapé, tenant de la main droite un gobelet;

c) un fragment de stèle, représentant un homme debout, drapé;

d) un fragment de stèle, représentant, debout, dans une niche, et se faisant face, un homme et une femme, drapés; au-dessus, une inscription (dont le sens est "Aux dieux mânes de Sacirobna, Martinus").

(Déposés dans le «parc Gauthier». Deux fragments de stèle, dont celui avec inscription, sont actuellement exposés à l'intérieur de la mairie de Monthureux-sur-Saône.)

Date des trouvailles : non précisée.

Lieu des trouvailles : "   Sur le revers du bois de la Mause et sur la rive gauche du ruisseau du même nom, une centaine de pas avant d'atteindre la Saône, au lieu-dit "le Maublot", selon Didier-Laurent.

4. Une douzaine de stèles funéraires (selon le répertoire de M. Toussaint, p. 43).

Date des trouvailles : non précisée.

Lieu des trouvailles : "au lieu-dit la Perche, en face de la gare".

Ce lieu-dit est voisin du lieu-dit le Maublot.

Ces stèles auraient été déposées aussi dans le «parc Gauthier».

5. Le Musée départemental des Vosges expose, à côté de la pierre funéraire à inscription, signalée plus haut, deux vestiges provenant de la région de Monthureux-sur-Saône :

- un «personnage à la Cipe», acquis par le Musée en 1964

- un torse dit "de Mercure" (sans doute celui que signale le répertoire de M. Toussaint, p. 25). (il appartenait à une statue en grès représentant un homme nu, qui fut retirée de la Saône près de Darney, entre Darney et Monthureux-sur-Saône).

B. Trouvailles faites sur le territoire de Tignécourt [9]

1. Une statue, sans autres précisions.

Date de la trouvaille : XIXe siècle.

Lieu de la trouvaille : «à côté de la fontaine du petit bois de la ferme Habresol (ferme actuelle du Bignovre), tout contre le ruisseau (dit de Biocourt ou du Bigneuvre)», selon l'abbé Cossin.

Elle aurait été longtemps exposée à Tignécourt, «sur une muraille de la propriété Hyon, derrière l'église, et finalement vendue à des brocanteurs».

2. Douze sarcophages en pierre, "sans inscriptions, ni médailles, tournés vers l'est, contenant des squelettes". Dans l'un des sarcophages, on trouva «une agrafe de manteau en cuivre doré, ouvragée et enrichie de verroteries».

Date de la trouvaille : 1834 [10]

Lieu de la trouvaille : «Les Cerqueux» (canton du Bigneuvre), lieu-dit au pied d'un coteau aujourd'hui boisé, sur la rive droite du ruisseau du Bigneuvre, au bord du chemin de Tignécourt à Monthureux-sur-Saône.

Ce cimetière a pu être utilisé à l'époque mérovingienne (l'agrafe de manteau, enrichie de verroteries, trouvée dans l'un des sarcophages, peut dater de cette époque). Cependant l'absence d'inhumations en terre, de mobilier et d'armes, et l'origine gallo-romaine de tous les vestiges trouvés à proximité des Cerqueux donnent l'impression qu'il s'agit d'un cimetière gallo-romain, peut-être abandonné pour celui des Vignottes : la distance entre les deux cimetières est inférieure à 2 km.

3. Une urne en pierre, "au fond de laquelle il y avait plusieurs ossements calcinés et du charbon de bois, surmontée d'un couvercle en pierre en forme de pyramide tronquée, très aplatie, portant une ou deux lignes d'une inscription sur son pourtour inférieur taillé en biseau". (Abbé Cossin).

Date de la trouvaille : vers 1905.

Lieu de la trouvaille : (canton du Bigneuvre) "En tirant en"-diagonale,  à travers le Trou de Bleurville, une ligne droite de la Croix Pierron vers le bas de la Fosse Sauvage, on passe par un endroit, légère élévation de terrain, situé dans la forêt, non loin de la chaussée du plus bas étang de la Basse Verrière" (Abbé Cossin).

Découverte par le garde champêtre de Tignécourt, elle fut confiée à l'abbé Cossin par le maire de Tignécourt, Alexandre Bouquet, témoin de la trouvaille, et déposée dans la cour du presbytère de Saint-Julien.

4. Une tête en pierre d'un homme «assez jeune, portant, spécialement bien rendue, une barbe de quinze jours à un mois, selon l'abbé Cossin, qui ajoute : "Je crois me rappeler que les yeux étaient fermés."

Date de la trouvaille : 1924.

Lieu de la trouvaille : au lieu-dit «la Grande Corvée» (canton du Bigneuvre), dans un champ de Théophile Gaillet, cultivateur de Tignécourt.

Mme Samson, institutrice, petite-fille de Théophile Gaillet et héritière de cette trouvaille, l'emporta à Nancy, où elle exerçait.

Les sites des vestiges exhumés montrent (cf. carte 2) que la zone de Bleurville s'étend sur la rive droite de la Saône, depuis les bois qui limitent le territoire de Monthureux, à lest, jusqu'au canton du Bigneuvre sur le territoire de Tignécourt, à l'ouest.

Elle était traversée d'ouest en est par un axe principal de circulation qui, vers le sud-ouest, atteignait la zone de Bourbonne et, vers le nord-est, la zone d'Escle, elle aussi riche en vestiges gallo-romains (cf. Répertoire archéologique, op. cit., pp. 18-20 et 26-30). La chaussée antique repérée par Jollois, sur le chemin de Bleurville à Darney, et la "Voie Julienne", mentionnée sur la carte au 1/25 000e, entre Bourbonne et les bois de Fouchécourt [11], sont des traces de cet ancien axe routier de la rive droite.

Des chemins le reliaient à la voie romaine Langres-Strasbourg, qui passait sur le couronnement du bassin, au nord et au nord-ouest [12]. Certaines des petites routes actuelles peuvent suivre leurs tracés.

Par exemple, à l'ouest de Monthureux-sur-Saône, au lieu-dit « les Vignottes », le chemin très rectiligne que. la carte au 1/25 000e, appelle la «voie de Seraucourt» : elle coupait la voie Bourbonne - Darney au lieu-dit actuel «Croix de Bleurville».

Autre exemple, toujours au lieu-dit «les Vignottes» : la petite route si pittoresque de Monthureux à Bleurville. Elle suit un axe de circulation nord-sud bien intéressant pour l'historien : prolongé vers le nord, il atteint Viviers-le-Gras et la voie romaine ; prolongé vers le sud, l'ancien «vicus» de Corre, au confluent de la Saône et du Coney. La route actuelle D. 2, au départ de Viviers, suit parfaitement cet axe jusqu'à Corre, à condition qu'on emprunte son ancien tracé (la petite route des "Vignottes") entre Bleurville et Monthureux.

C'est dans le canton des Vignottes, angle formé par la voie de Seraucourt et la petite route de Monthureux à Bleurville, qu'on a. exhumé, nous l'avons vu (note 6), une pierre funéraire à inscription latine, près des vestiges d'une villa gallo-romaine, et, nous le verrons bientôt, un cimetière gallo-germanique. Au nord des Vignottes, le développement d'une agglomération dont les bains romains de Bleurville attestent l'existence ne peut s'expliquer que par la présence d'un important carrefour : celui des deux axes routiers principaux du bassin.

          1 « La Côte Gaillancée » (BOUSSERAUCOURT).

2 « Le Morthomme » (FIGNEVELLE) .

3 »Les Vignottes » (MONTHUREUX SUR SAONE) .

4 « Sainte Pétronille » (TIGNECOURT) .

Cimetières mérovingiens attestés et domaines mérovingiens possibles

Cette zone de peuplement des Vignottes et de Bleurville a dû s'étendre rapidement vers l'est et vers l'ouest, entre la Saône et les forêts. Ses carrefours lui assuraient des relations de transit et d'échange avec quatre zones actives - la voie romaine Langres- Strasbourg, la zone d'Escles, la zone de Corre et la zone de Bourbonne.

Des domaines gallo-romains se sont constitués dans le bassin des sources de la Saône, comme dans toute la Gaule romanisée, sur les bords des axes de circulation ou sur les rives de la vallée. Le tableau suivant est proposé sous toutes réserves, en l'état actuel de nos connaissances à ce sujet. Car les quelques certitudes autorisées par l'archéologie disparaissent lorsque nous disposons seulement des formes médiévales des noms de lieux [13] .

TOPONYMIES ANCIENS [14]

Nom du domaine

gallo-romain

Nom médiéval

de l'habitat

Nom actuel

de l'habitat

DARNIACUM

DARNEI [15]

DARNEY

ATTINIACUM

ATINEI

ATTIGNY

FIDENIACUM

FIGNEI (15)

FIGNEVILLE

MARIACUM

MAREI

MAREY

MALETIACUM

MALISEI (15)

MORIZECOURT

II. - Cimetières mérovingiens attestés Domaines mérovingiens possibles

Lieux de culte chrétiens de l'époque mérovingienne

Aux VIe et VIIe siècles (époque mérovingienne), les Germains et les Gallo-Romains continuèrent d'utiliser les axes de circulation de l'époque gallo-romaine (il en sera ainsi jusqu'au XVIIIe siècle, où, pour la première fois depuis la disparition de l'Empire romain, l'Etat français entreprendra, de façon systématique, d'adapter le réseau antique des voies de communication aux développements du commerce et de l'industrie).

Mais la répartition des zones de peuplement dans le bassin fut-elle modifiée ? Les sites des cimetières mérovingiens nous fourniront les réponses les plus sûres. Leur localisation nous permettra en même temps de vérifier les conclusions d'Edouard Salin à ce sujet : au VIe et au VIIsiècles, ce sont généralement des cimetières champêtres, distants de 500 à 2 500 m des villages actuels.

Pour les domaines ruraux, la prudence et la rigueur sont plus que jamais indispensables : les Gallo-Romains ayant, en effet, adopté l'onomastique germanique, un domaine rural à nom de propriétaire germanique ne sautait être classé mérovingien pour cette seule raison. C'est pourquoi nous nous sommes, par principe, limités aux domaines dont le cimetière mérovingien est attesté ou qui semblent avoir pour origine l'un des domaines:gallo-romains possibles cités plus haut.

A. Cimetières attestés

1. Bousseraucourt (zone gallo-romaine de Corre)

Lieu-dit : "La Côte Gaillancée", au nord du village actuel, à flanc de coteau, sur une pente assez douce menant à un ruisseau.

Date de la découverte : fouilles de 1961 - 1966.

"Le cimetière de Bousseraucourt a servi dès le, VIe siècle : présence de haches (francisque, "Bartaxt", etc.) et de prototypes de vases burgondes. Au VIIe siècle, la population semble avoir été peu influencée par les modes barbares et très rapidement on dut inhumer sans mobilier et en sarcophages"[16]

2. Fignévelle (zone gallo-romaine de Corre)

Lieu-dit : "le Morthomme", au sud du village actuel, à flanc de coteau, sur une pente assez douce.

Date de la découverte : non précisée.

On aurait trouvé au Morthomme "des ossements, des lances, des lames de sabres, des cendres près desquelles était une grande quantité de dards (environ 12 cm), des boucles de métal, des squelettes ayant à leurs pieds un vase -en terre cuite"[17].

L'abondance de l'armement, à l'exclusion de tout autre mobilier, et les vases en terre cuite aux pieds des squelettes, donnent l'impression d'un cimetière datant du début de l'installation des Burgondes dans la région (fin Ve - début VIe siècle ?). L'absence de sarcophages (à vérifier) confirmerait cette impression. Le Morthomme serait un cimetière purement burgonde, tôt abandonné : le cimetière de la Côte Gaillancée, qui a continué de servir au VIIe , était à moins de 2 km du Morthomme.

3. Monthureux-sur-Saône (zone gallo-romaine de Bleurville)

Lieu-dit : sur le levant du Caubitch, dans la direction des Trois poiriers (canton des Vignottes), selon Didier-Laurent (Bulletin paroissial de Monthureux, août 1908). A flanc de coteau.

Date : de la découverte : fouilles entreprises en 1849 et reprises vers 1900.

On y aurait trouvé, en 1849, "six sarcophages environ, des ossements dans et entre les sarcophages et un vase vide en terre noire avec couvercle (hauteur 0,10 m, ouverture 0,112 m)" entré au Musée départemental des Vosges le 15 novembre 1849 ; puis, vers 1900, "environ deux cents sépultures orientées vers le Levant et dont beaucoup étaient des fosses revêtues de pierres sèches autour du corps" (Didier-Laurent).

Les frères Balat, de Monthureux, héritèrent d'une collection d'urnes, de flacons lacrymatoires, de boucles, de fibules, de bracelets et de colliers, recueillie par Léon Georges Gauthier, ancien député des Vosges.

Un répertoire de cette collection était en possession de Léon Gauthier. Il n'a pas été retrouvé (M. Toussaint)[18]. Qu'est devenue la collection ?

4. Tignécourt (zone gallo-romaine de Bleurville)

Lieu-dit : "Sainte Pétronille" (section B, n°1660, de l'ancien plan cadastral de Tignécourt). A flanc de coteau, sur une pente menant à un ruisseau à proximité d'une source dite "Fontaine Perdrix"

Date de la découverte : hiver 1886-1887(cf. M. Toussaint, "Essai sur la question franque" op. cit.).

Les fouilles de "Sainte-Pétronille" ont fait l'objet d'un rapport, d'une communication et d'une note, très Succincts, de F. Voulot, qui signale la découverte d'un cimetière, avec un riche mobilier funéraire sans autres détails[19]

Une douzaine de sarcophages auraient été exhumés dans un champ appartenant à Charles-Auguste Génion, cultivateur de Serécourt. Mme Léon Tridon, fille de Charles-Auguste Génion, déclara avoir vendu, après la mort de son père à F. Voulot, des vases, des bague , des armes, des umbo de boucliers, des objets en verre, des perles (renseignements fournis par Savouret, instituteur à Serécourt, et recueillis par L. Vilminot, instituteur à Sauville) [20].

Un vase caréné en terre noire, à trois bourrelets, décor moleté en spirale à la base, moleté rectangulaire sur les deux registres supérieurs, et portant sur une étiquette sa provenance (« Serécourt, chapelle de Sainte-Pétronille »), fut achetée à Neufchâteau par M. Maurice Clapier (note de L. Vilminot).

Cette chapelle Sainte-Pétronille, dont il ne restait que des ruines, utilisées comme carrière de pierres, avait été construite sur l'emplacement du cimetière ancien (cf. Lepage et Charton, op. cit., t. II, art. Domvallier). C'est d'ailleurs en retirant des pierres de cette carrière que Charles-,Auguste Génion découvrit le cimetière.

Elle passait pour avoir été l'église de Domvallier, un village disparu, dont il ne reste pas de traces (au XVIIe siècle, Domvallier est un ermitage, dont Sainte-Pétronille est la chapelle).

Cette église de Domvallier avait été, jusqu'au XIe siècle, l'église mère de celle de Deuilly (bourg et château-fort à 2,500 km au nord de Sainte-Pétronille). Et les habitants de Serécourt, village à 2,500 km au nord-ouest de Sainte-Pétronille, l'ont de tout temps considérée comme l'ancienne église-mère de leur église (au XIe siècle, il n'y a encore qu'une chapelle à Serécourt [21]

Il semble donc que l'église médiévale de Domvallier, qui précéda la chapelle Sainte-Pétronille sur l'emplacement d'un ancien cimetière, ait été, à l'origine, une église champêtre, centre d'une vaste paroisse rurale : l'ancienne chapelle d'un cimetière de l'époque mérovingienne, commun à plusieurs villages et domaines ruraux des environs.

B. Domaines mérovingiens possibles

1. Bousseraucourt (zone gallo-romaine de Corre)

Habitat mérovingien attesté par l'existence du cimetière de la Côte Gaillancée, au nord du village actuel.

La forme la plus ancienne du nom du village, Busserinicurte (1170), relevée par le "Nouveau Dictionnaire des communes de la Haute-Saône » (op. cit., t. II, p. 10), permet de remonter à un nom d'homme germanique Bosselinus, dérivé de l'hypocoristique Bosso, attesté en Gaule (cf. M.-T. Morlet, op. cit., t. I) [22](21).

2. Fignévelle   -   3. Godoncourt (zone gallo-romaine de Corre)

Les deux villages se sont établis à moins de 1 km l'un de l'autre.

Le caractère très germanique du cimetière du "Morthomme", au sud de Fignévelle, permet de le dater du début de l'installation des Burgondes dans la région (leur présence est attestée à la "Côte Gallancée", cimetière de Bousseraucourt, à moins de 2 km du "Mort- homme"). C'est une époque (fin du Ve - début du VIe siècle) où les propriétaires de domaines gallo-romains durent accepter un partage de leurs terres avec les "faramans" (chefs de clans et chefs guerriers burgondes  [23]  Or plusieurs indices d'un partage de domaine gallo- romain existent dans le cas de Fignévelle (ancien Fideniacum).

Le premier est fourni par l'histoire politique et religieuse : Fignévelle et Godoncourt ne formaient, avant la Révolution, qu'une même paroisse, comtoise, au milieu de territoires barrois (Saint-Julien, les Thons) ou lorrains (Martinvelle, Regnévelle, Monthureux-sur-Saône) ou "mi- partis » (Lironcourt, Grignoncourt).

Deuxième indice : l'inégalité des deux finages, le territoire communal actuel de Fignévelle représentant un quart (440 ha), celui, de Godoncourt les trois quarts (1138 ha) du total des deux territoires communaux. Cette répartition semble conserver la trace d'un type de partage (1/3 des terres du domaine gallo-romain au propriétaire, 2/3 aux faramans burgondes) imposé par une "lex Burgundionurn" sur les terres annexées par eux (début VIe siècle).

Troisième indice : les formes les plus anciennes du nom actuel du village de Godoncourt (Godoncurt, 1162 ; Gundocurt, 1190 ; Gundonis curtem, XIIe siècle) présentent, sous la forme de leur premier élément, un hypocoristique germanique Gundo (var. Gondo) qui fut en honneur chez les Burgondes, puisqu'il est à l'origine des noms de plusieurs de leurs rois . Gundahar, Gundioch, Gondebaud.

4. Bleurville (zone gallo-romains de Bleurville)

Dans la zone central de peuplement du bassin à l'époque gallo- romaine, avec son carrefour routier et ses bains romains, on observe, sans surprise, une continuité de l'habitat à l'époque mérovingienne, attestée par l'existence du cimetière des Vignottes, à moins de 2 km au sud du carrefour.

L'activité commerciale a développé cet habitat  [24] . Bleurville était encore, au XVIIIe siècle, qualifié de "gros village, autrefois bourg" (1773) (Lepage et Charton, op. cit., t. 11, art Bleurville).

Le village actuel continue de porter le nom du domaine rural mérovingien qui lui a donné naissance : sous la forme de son premier élément, Bleur, se dissimule le nom germanique d'un propriétaire du domaine, Blideric [25] .

5. Serocourt   -   6. Marey   -   7. Gignéville (zone de la voie romaine Langres- Strasbourg)

Au nord-ouest du bassin, épousant le relief des côtes qui le couronnent, une route serpente de Serécourt à Viviers-le-Gras  (D. 25), dominant d'une centaine de mètres, mais en pente douce, la vallée de la Saône, que les vastes forêts de la Vôge dissimulent au regard.

Sept villages jalonnent les 14 km de cette route . du sud-ouest au nord-est, Serécourt, Morizécourt, Frain, Serocourt, Marey, Gignéville et Viviers-le-Gras. Les avantages de leurs sites, au bas de la côte calcaire qui couronne le bassin, expliquent leur alignement pressé : "Ils se sont installés sur l'affleurement marneux du calcaire coquillier (= muschelkalk) inférieur, qui forme un niveau de sources, comme au centre géométrique de leur exploitation agricole. Sur le calcaire, ils ont leurs champs de céréales ; sur les marnes, leurs prairies ; sur le grès, leurs forêts" (A. Cholley, op. cit.).

Deux de ces sept villages ont peut-être un domaine gallo-romain à l'origine de leurs noms actuels : Maletiacum, devenu Malzécourt, puis Morizécourt (cf. chapitre 1, note 14) ; Mariacurn, à l'origine de Marey (cf. tableau à la fin du chapitre 1). La voie romaine Langres-Strasbourg passait, en effet, au pied des « hauts » qui couronnent le nord-ouest du bassin, à 2 km environ du village actuel de Morizécourt et à moins de 1 500 m du village actuel de Marey.

Or, sur la carte, Marey apparaît flanqué de deux villages, distants de moins d'un kilomètre. Leurs noms, Serocourt et Gignéville, offrent, sous les formes de leurs premiers éléments, un nom d'homme germanique [26] . D'autre part, le territoire actuel de Marey (790 ha) représente, à 25 ha près, le tiers du total des territoires communaux des trois villages (2 445 ha) : comment ne pas penser à ce type de partage des terres entre Burgondes et Gallo-Rornains (début VIe siècle) dont nous avons parlé à propos de Godoncourt et de Fignévelle ?

Il reste qu'aucun cimetière champêtre mérovingien n'a été exhumé dans le voisinage. Pourtant il existe, à l'est de Gignéville, en contrebas du village, à 1 500 m environ, un lieu-dit "Bois des Morts", à flanc de coteau, sur une pente douce menant au ruisseau de Viviers-le-Gras...

C. Lieux de culte chrétiens de l'époque mérovingienne (VIe - VIIe siècles)

Au Ve siècle, face aux barbares, les évêques et le clergé gallo-romains sont souvent apparus comme les seuls défenseurs de la cité. Présents, depuis le IVe siècle, dans tous les chefs-lieux et dans les principaux « vici », ils maintiennent, dans les cités occupées, l'héritage culturel et moral romain.

A partir de la fin du Ve siècle, ils reçoivent l'appui des rois francs, condition indispensable pour entreprendre de façon systématique la christianisation des campagnes.

Dans notre région, annexée au royaume burgonde, l'arianisme des Burgondes, hostile au catholicisme du clergé gallo-romain, a dû, logiquement, retarder I'implantation de lieux de culte catholiques. Cet obstacle disparaît en 534, avec la conquête du royaume burgonde par les fils de Clovis.

La nouvelle religion s'est organisée, ici comme ailleurs, en suivant les principaux axes des diocèses. L'axe principal du bassin, à cette époque, est celui qui, du sud au nord, relie le "vicus" de Corre à la voie romaine Langres-Strasbourg. (Cet axe, nous l'avons vu, est à l'origine d'une longue activité commerciale de Bleurville.) Le deuxième axe de circulation du bassin, celui qui, du sud-ouest au nord-est, reliait les deux anciens sanctuaires païens de Borvo (Bourbonne) et d'Hercule (Escles) -certainement détruits-ne pouvait jouer le même rôle.

C'est en tenant compte de ces données que nous avons recherché, parmi les vocables [27]  des églises actuelles du bassin, ceux qui pouvaient remonter aux premiers siècles de la christianisation.

Une datation précise parle seul vocable religieux étant impossible, nous avons pris pour points de départ de notre recherche les vocables des lieux gallo-romains et mérovingiens attestés dans les deux premiers chapitres de notre étude. Ce qui devrait permettre une comparaison utile de notre carte 4 avec les cartes 2 et 3.

Nous ne nous sommes départis de ce principe, en fin de chapitre, que pour attirer l'attention du lecteur sur un cas particulier : la consécration d'églises voisines à deux saints personnages que le récit de leurs vies associait intimement : saint Martin et saint Brice ; saint Didier et saint Vallier ou Valère. Il y a là un type d association de vocables d'églises qui peut aider à déterminer l'époque de fondation de ces églises et, par là même, confirmer ou infirmer les hypothèses faites sur les origines des habitats où ces églises ont  été fondées. Nous le pensons et essayons de le prouver.

1. Saint-Maurice : Corre, Morizécourt

L'église primitive de Corre, édifiée à l'emplacement d'un lieu de culte païen, était dédiée à saint Maurice. On construisit au Moyen Age une nouvelle église paroissiale consacrée à saint Pierre, mais les habitants de Corre réussiront à imposer l'ancien vocable de leur paroisse [28] 

Le culte de saint Maurice d'Agaune a pu être diffusé dans le royaume burgonde dès la publication d'un récit de la "Passion des Martyrs d'Agaune", attribué à Eucher, évêque de Lyon vers le milieu du Ve siècle, ou bien dès le règne de Sigismond (516-523), protecteur du mona-d'Agaune (Valais suisse) où il fonda une basilique sur le tombeau de saint Maurice. Mais c'est surtout au -cours de la seconde moitié du VIe Siècle  [29]  que le culte se répandit dans l'est et le centre de la Gaule.

Deux circonstances favorisaient sa diffusion : la liberté totale de l'Eglise catholique en Burgondie à partir de 534 et l'expansion du royaume franc de Bourgogne, de 561 à 593 (règne de Gontran). Une basilique dédiée à saint Maurice fut fondée à Toul avant 549, une autre à Besançon en 580  29 

Le "vicus" de Corre, lieu de transit et d'échanges, où la civilisation gallo-romaine était encore partout présente au VIe siècle, devait logiquement devenir très tôt le siège d'une communauté chrétienne et l'une des premières "paroisses" aux  confins nord du diocèse de Besançon.

Le vocable de Saint Maurice à Morizécourt, au nord-ouest du bassin dans la zone de la voie romaine Langres-Strasbourg, a toutes chances d'être contemporain du vocable de l'église primitive de Corre, avec la seule différence qu'il dut être d'abord, sur le domaine de Maletius (Maletiacum), le vocable d'un simple oratoire privé, édifié par un propriétaire du domaine pour lui-même et sa "familia".

2. Sainte-Croix : Jonvelle

Le village actuel de Jonvelle, à 6 km en amont de Corre, s'est développé au Moyen Age sur la rive gauche de la Saône, autour de l'église d'un prieuré dédié à saint Pierre : c'est l'église paroissiale actuelle. Mais le noyau primitif du village médiéval se trouvait sur la rive droite, dans une presqu'île formée par un méandre de la rivière : c'était le "faubourg Sainte-Croix" avec son église paroissiale, dédiée à la Sainte Croix (détruite en 1595), et son château féodal [30]

La découverte d'une villa à mosaïque au lieu-dit "Les Jonvillotes" (cf. chapitre I, note 1) confirme qu'une habitat s'était développé sur la rive droite dès l'époque gallo-romaine.

La plupart des églises épiscopales attestées en Gaule au IXe siècle sous le vocable de la Sainte Croix datent du VIe siècle ou VIIe siècle.

Mais trois d'entre elles remontent à l'époque gallo-romaine, dont l'une à Autun, l'autre à Metz  [31] . Il est difficile de rejeter absolument l'hypothèse d'un lieu de culte chrétien établi à Jonvelle à une époque où le "vicus" de Corre, de nouveau détruit par une invasion germanique, n'aurait pas encore été reconstruit : la proximité de Corre et l'existence d'un habitat gallo-romain aux Jonvillotes expliqueraient fort bien qu'une communauté chrétienne se soit alors fixée à Jonvelle, autour d'un lieu de culte dédié à la Sainte Croix du Sauveur  [32] .

3. Saint-Etienne : Bousseraucourt

Un lieu de culte consacré à saint Etienne a pu exister sur le domaine mérovingien de Bosselinus, au VIe ou au VIIe siècle, où son cimetière est attesté.

Le culte de saint Etienne, le premier martyr chrétien, s'est répandu surtout aux Ve et VIe siècles, après la découverte du corps du martyr vers 415. A Besançon comme à Toul, 1'une des églises épiscopales attestées au IXe siècle était dédiée à saint Etienne [33]

4. Saint-Rémi -. Godoncourt

Un lieu de culte a pu être consacré à saint Rémi sur le domaine mérovingien de Gundo, après l'annexion du royaume Burgonde par les Francs (534). Le culte de saint Rémi de Reims, qui baptisa Clovis, s'est développé à partir de la seconde moitié du VIe siècle, époque au cours de laquelle fut rédigée sa Vie.  [34]

5. Saint-Martin : Frain ; et Saint-Brice : Isches, Dombrot-le-Sec

Ces villages appartiennent à un alignement remarquable de villages. déjà signalé, au nord-ouest du bassin des sources de la Saône, le long de l'ancienne voie romaine Langres-Strasbourg. Ce que nous avons pu constater à propos de trois d'entre eux, Serocourt, Marey et Gignéville (chapitre II, B, 5,6,7), permet de penser que Frain, Isches et Dombrot le-Sec sont également d'anciens domaines ruraux mérovingiens issus du démembrement des deux domaines gallo-romains préexistants de Marey (Mariacum) et de Morizécourt (Maletiacum).

L'église de Frain, consacrée à saint Martin, évêque de Tours, est à 9 km au nord de l'église d'Isches et à 6 km au sud de l'église de Dombrot-le-Sec, toutes deux consacrées à saint Brice, disciple et successeur de saint Martin. Or ce que nous connaissons du culte de ces deux évêques de Tours va aussi dans le sens d'une origine mérovingienne des trois églises et de leurs villages.

En effet, à partir de 567, la basilique de Tours, berceau du culte martinien, passe dans le domaine des rois austrasiens (elle y restera jusqu'en 679) : on assiste alors en Austrasie et en Bourgogne à l'apogée du culte de saint Martin et de saint Brice [35] . Sur le territoire de l'ancien royaume burgonde, une conjoncture politique lui est particulièrement favorable : l'expansion du royaume franc de Bourgogne sous les règnes de Gontran (561-593) et de Brunehaut (598-613), protecteurs et fondateurs de nombreux établissements religieux, dont une abbaye Saint-Martin, à Autun.

Les trois églises de Frain, d'Isches et de Dombrot-le-Sec pourraient donc être des fondations de la seconde moitié du VIe siècle ou de la première moitié du VIIe .

6. Saint-Didier : Serocourt ; et Saint-Valère : Senaide, Thuillières

L'église de Serocourt village voisin de Frain, est consacrée à saint Didier. Or nous trouvons, à 15 km au sud de Serocourt, l'église de Senaide et, à 16 km au nord de Serocourt, l'église de Thuillières, toutes deux consacrées à saint Valère.

C'est le même type d'association de vocables que le précédent : une église au centre encadrée de deux églises, à une distance à peu près égale ; l'église au centre (sans doute église-mère des deux autres) dédiée au saint principal (ici saint Didier, là saint Martin ; les deux autres, à son disciple (saint Brice) ou compagnon de martyre (saint Vallier ou Valère).

Saint Vallier ou Valère (lat. Valerius) était un diacre de Didier ou Dizier (lat. Desiderius), évêque de Langres. Didier subit le martyre à Langres, Vallier à Port-sur-Saône. Mais le culte de saint Vallier, martyr du Portois, se répandit surtout dans le diocèse de Besançon, où il figure sur le Propre des Saints, en compagnie d'un autre Didier, évêque et martyr sous le règne de Brunehaut (début du VIIe siècle)  [36]

I1 y a tout lieu de penser que les fondations d'églises associant les vocables de saint Didier et de saint Vallier ou Valère dans le bassin des sources de la Saône sont d'origine bisontine et ne concernent nullement le diocèse de Langres. Leurs dates de fondation ne peuvent être antérieures à la première moitié du VIIe siècle, cet évêque Didier associé à saint Vallier ou Valère ayant subi le martyre au début du VIIe siècle.

Outre les églises de Serocourt, de Senaide et de Thuillières, ce serait le cas de l'ancienne église de Domvallier, dont nous avons déjà parlé à propos des fouilles de «Sainte-Pétronille», entre Serocourt et Tignécourt (chapitre II, A-4) ; et d'une ancienne chapelle Saint-Didier à Saint-Julien (2,500 km à l'est de «Sainte-Pétronille») : les habitants de Saint-Julien la considéraient comme l'église primitive de leur village. On l'a démolie récemment.

Conclusion

Comparons les cartes 2 et 3 : on retrouve, à l'époque mérovingienne, les zones principales de peuplement gallo-romaines de Corre et de Bleurville, au sud-est et au centre du bassin. Comparons maintenant la carte 4 aux deux autres : on constate tout de suite qu'à l'époque mérovingienne la zone de la voie romaine, au nord-ouest, gagne en importance. La carte 4 semble même indiquer qu'elle devient la plus peuplée, la plus active du bassin, devançant la zone de Corre.

La Saône continue donc, aux VIe et VIIe siècles, de fonctionner comme axe de peuplement du bassin, d'aval en amont (du sud au nord), à partir du carrefour fluvial-routier de Corre (Bousseraucourt, Fignévelle, Godoncourt).

Mais les domaines, ruraux, unités autonomes de peuplement, et de vie économique, fixés sur de vastes espaces libres, donc de préférence à là périphérie, sur les -plateaux de muschelkalk du bassin, ont tendance à se multiplier à l'époque mérovingienne : à l'ouest et au nord-ouest surtout, où la voie romaine exerce son attraction (Senaide, Isches, Morizécourt, Frain, Serocourt, Marey, Gignéville, Dombrot-le-Sec, Thuillières).

Au centre du bassin, au contraire, l'ancienne zone gallo-romaine de la vallée semble en déclin, malgré la présence du carrefour routier de Bleurville. Les domaines de Darney et d'Attigny ont même une allure de domaines isolés, dans la zone forestière de la Vôge, de clairières défrichées, îlots de muschelkalk cultivés émergeant au milieu d'affleurements de grès bigarré couverts de bois.

Des deux axes principaux de circulation du bassin, le plus fréquenté est certainement l'axe routier sud-nord, puisque, reliant Corre à la voie romaine, il prolonge jusqu'au bassin de la Meuse, au nord, l'axe fluvial et routier méditerranéen de Lyon à Corre.

Son importance militaire stratégique dépendait de l'existence de la frontière de l'Empire sur le Rhin. Après le Ve siècle, il lui reste ses fonctions de circulation et d'échanges, précieuses pour le bassin.

Malheureusement, ce facteur favorable à l'expansion économique coexiste avec deux facteurs défavorables : l'absence, à l'intérieur du bassin, d'un axe fluvial navigable ; la concurrence, à l'ouest et à l'est, de voies de communication routières importantes : à l'ouest, la voie de Lyon à Toul, Metz, Trèves et Coblentz (elle passe à moins de 40 km) ; à l'est, plusieurs axes routiers mettant les bassins de la Saône et du Rhône en communication directe avec le bassin de la Moselle, à travers les massifs forestiers de la Vôge.

En fin de compte, le bassin des sources de la Saône, ouvert au nord et au sud, mais limité à l'est et à l'ouest par deux zones forestières, a sans doute connu une époque de prospérité au cours des deux premiers siècles de l'Empire, comme toute la Gaule, grâce à la paix garantie par Rome, grâce aussi à l'infrastructure routière mise en place ou perfectionnée par l'administration de l'Etat impérial, mais une prospérité due plutôt à la sécurité des voies de communication et à la stabilité des institutions qu'à une expansion économique, aux limites trop étroites.

De Corre la civilisation gallo-romaine s'est insinuée dans le bassin des sources de la Saône par la vallée de la rivière, qu'elle à remontée jusqu'à sa source, par Jonvelle, Châtillon, Bousseraucourt, Fignévelle, le Bigneuvre, Bleurville, Attigny et Darney (carte 2).

Au cours de la seconde moitié du IIIe siècle, une décadence est amorcée avec la grande invasion germanique, entre 268 et 278, la destruction de Corre et l'aménagement d'un nouveau port fluvial en aval de Corre.

Au IVe siècle, la nécessité croissante de défendre le Rhin donne un second souffle aux infrastructures routières, au "vicus" de Corre reconstruit, à la vie économique, de la région. Mais la multiplication des incursions germaniques à la fin du IVe siècle, une anarchie politique et militaire croissante, enfin l'effondrement de l'Empire au cours de la première moitié du Ve siècle ruinent toutes les conditions requises pour une vie économique normale.

Elles ne seront rétablies qu'au début du VIe siècle, dans le cadre d'un Etat burgonde où Gallo-Romains et Germains s'efforcent de coexister pacifiquement, grâce à une double législation, gallo-romaine et burgonde.

C'est l'époque du partage des terres. Dans le bassin des sources de la Saône comme ailleurs, la création, la reconstruction ou la multiplication des domaines ruraux (cartes 3 et 4) donne un troisième souffle à la vie économique et au peuplement.

Celui-ci sera plus durable. Un nouveau facteur de stabilité apparaît, en effet, peut-être dès le IVe siècle, à coup sûr aux VIe et VIIe siècles : l'implantation des premiers lieux de culte chrétien dans les campagnes (carte 4). Une superstructure nouvelle, religieuse, va se former bientôt sur les infrastructures traditionnelles de la vie économique et sociale : la paroisse rurale.

Les premières seront de vastes dimensions. Dès le VIe siècle, une chapelle ou une église fondée au nord-ouest du bassin, comme celle du domaine de Maletius (Morizécourt), pouvait parfaitement dépendre de l'église paroissiale du « vicus » de Corre, à 20 km de là, au sud du bassin, dédiée à saint Maurice. Dans ce cas, l'attribution à la nouvelle église du vocable de l'église-mère garantissait sa dépendance mieux que tous les textes écrits. Un peu plus tard, une église champêtre comme celle de Domvallier a pu servir d'église paroissiale à plusieurs villages des environs, tels Deuilly et Serécourt, jusqu'au XIe siècle au moins.

Ces grandes paroisses se constituaient, en somme, comme de petits diocèses à l'intérieur du grand diocèse, sans que le prêtre chargé de la paroisse ait toutefois les pouvoirs de l'évêque.

Cette structure de la paroisse rurale primitive lui était propre. Elle pouvait garantir à l'action de l'Eglise dans les campagnes l'indépendance nécessaire à son caractère religieux, spirituel. Mais un facteur social puissant va jouer contre cette indépendance.

A l'époque où naissent les premières paroisses rurales, les infrastructures économiques et sociales sont depuis longtemps dominées par les possesseurs de domaines, unités autonomes de peuplement et de vie économique dont ils sont les maîtres absolus. Beaucoup de propriétaires patronnent des fondations de lieux de culte (oratoires, chapelles, églises) sur leurs propres terres. D'autres entrent dans l'Eglise et lui apportent leurs biens propres. L'Eglise, de son côté, encourage les donations pieuses.

La multiplication des domaines, que nous avons relevée dans le bassin, à l'époque mérovingienne, favorise donc l'implantation de l'Eglise dans les campagnes. En revanche, l'Eglise sera contrainte de composer avec les patrons d'églises, de leur reconnaître ipso facto des droits de patronage, tout un ensemble de privilèges, qui seront finalement codifiés officiellement par la papauté, au XIe siècle, et intégrés dans le droit ecclésiastique.

Ainsi commence à se constituer, dès l'époque mérovingienne, dans les campagnes gauloises, la nouvelle société aristocratique, essentiellement terrienne, plus tard nobiliaire, dont l'Eglise sera désormais l'une des composantes.



[1]La Vôge s'étend, d'ouest en est, du pays de Darney (bassin de la Saône) aux environs de Xertigny (bassin du Coney, premier affluent important de la Saône sur sa rive gauche).

Sur la Vôge, consulter d'abord l'étude d'André Cholley, publiée dans les "Annales de Géographie" (tome XXIII, 1914), avec une carte tectonique au 1/320 000e, et une coupe au 1/500 000e.

[2] 2. Lucien GALLOIS, L'origine du nom de Faucilles, Annales de Géographie, t. XIX, 1910.

[3] - Etude d'Hélène WALTER, La sculpture Funéraire gallo-romaine en Franche-Comté (chapitre III, «la Haute-Saône - Luxeuil - Bousseraucourt - Divers, pp. 37-136, avec une carte de la répartition des monuments funéraires dans le nord de la Haute-Saône, p. 38, et un plan de Corre extrait d'une carte du canton de Jussey publiée en 1848). Annales littéraires de l'Université de Besançon, 176, Société d'édition «Les Belles-Lettres», Paris, 1974.

- Campagne de fouilles entreprise en 1961 par l'abbé Descourvières, curé de Jonvelle, à Bousseraucourt. A 250 m au-dessous d'un cimetière gallo-romain et gallo-germanique, un vestige d'habitat gallo-romain a été exhumé. Cf. La Haute-Saône. Nouveau dictionnaire des communes (S.A.L.S.A., Vesoul), t. II, pp. 10-11.

- Campagne de fouilles entreprise en 1968 par l'abbé Descourvières, à Jonvelle (lieu-dit «Les Jonvillottes»). Cf. La Haute-Saône. Nouveau dictionnaire des communes, t. III. pp. 301-302. Cf. "Découverte d'une villa à mosaïques à Jonvelle (Haute-Saône)", Revue archéologique de l'Est et du Centre-Est, 20, 1969, pp. 271-285.

- Découverte de vestiges gallo-romains à Châtillon-sur-Saône en 1863. Cf. Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1863, pp. 352-353.

[4]Sur Corre et le «Portus Abucinus» (Port-sur-Saône), cf. La Haute- Saône. Nouveau dictionnaire des communes, t. II, pp. 283-289 et t. V, pp. 9-22.

En accentuant l'importance de Corre à l'époque gallo-romaine (cf. p. 171 - Corre et Luxeuil auraient été aux IIe et IIIe siècles «les deux seuls grands centres d'art funéraire en Franche-Comté»), l'étude d'Hélène Walter relance le vieux problème de l'existence d'un «pagus de Corre» antérieur au «pagus de Port» (Portois) dans le nord de la cité gallo-romaine des Séquanes.

[5]Des notes de voyage et d'archéologie prises par Jollois lors de cette expédition ont été publiées en 1904 par P. Lefèvre-Pontalis, sous le titre Journal d'un ingénieur attaché à l'expédition d'Egypte (1798-1802) (Paris, E. Leroux, grand in-8°, 255 p. Un portrait. «Bibliothèque égyptologique», t. VI

[6] Cet ouvrage étant devenu rarissime, on me saura peut-être gré d'en préciser les références.

«Mémoire sur quelques antiquités remarquables du département des Vosges, par J.B.P. Jollois, ingénieur en chef, directeur des Ponts et Chaussées du département de la Seine, membre de la Société royale des antiquaires de France, de la Société d'Emulation des Vosges et de plusieurs sociétés savantes, officier de l'ordre royal de la Légion d'Honneur.» A Paris, à la Librairie départementale et étrangère de Derache, successeur de Lance, rue du Bouloy, 7. 1843. (In folio XXXVII. 200 p. Planches et carte.) Cote de l'exemplaire déposé à la Bibliothèque nationale (Département des imprimés): FOL Lj6-84.

Henri-Paul Eydoux a consacré quelques lignes à Jollois, «véritable précurseur de l'archéologie moderne», à propos des fouilles de Grand (Vosges), dans son ouvrage Réalités et énigmes de l'archéologie (Paris, Plon, 2e édition augmentée, 1965, pp. 167-170).

[7] style='font-size:8.0pt;'> «Autrefois, selon les titres, Bleurville était nommée aux-Bains, et on voit encore aujourd'hui une partie du bassin dans lequel on se baignait.» (Dom Calmet, Notice de la Lorraine, Nancy, 1756, Art. Bleurville.)

[8]Les vestiges gallo-romains exhumés sur le territoire de Monthureux-sur-Saône sont décrits dans les chapitres Il et 111 d'une Histoire ancienne de Monthureux et de sa région, rédigée par le chanoine Didier-Laurent, ancien curé de Monthureux-sur-Saône, et publiée dans le Bulletin paroissial de Monthureux-sur-Saône.

La collection complète de ces bulletins paroissiaux devenant rare, je crois utile de préciser les chapitres de cette précieuse étude.

Chapitre 1 : (janvier et février 1908) : Point de départ historique de l'histoire de Monthureux-sur-Saône. - Chapitre 2 : Vestiges d'antiquité.

Chapitre 3 : La villa et son cimetière (mars-octobre 1908). >

Chapitre 4 : L'abbaye de Luxeuil jusque vers 1150 (novembre 1908 - avril 1909).

Chapitre 5 : La vouerie des sires de Darney à Monthureux jusqu'en 1260.

Les années 1260-1301.

Chapitre 6 : Luxeuil au XIVe siècle. Les rapports entre Luxeuil et Monthureux

Chapitre 7 :Un traité suggestif (1er, juillet 1367). La seigneurie de Monthureux au XIVe siècle. Les relations du prieuré de Monthureux avec les monastères de la région (mai 1909 - novembre 1911).

Chapitre 8 : Le XVe siècle (décembre 1911 - octobre 1912).

Chapitre 9 : L'emprise lorraine sur le domaine de Monthureux, jusqu'en 1607 (novembre 1912 - juillet 1914 et août-octobre 1929).

Une suite à cette histoire ancienne de Monthureux vient d'être publiée par Marie-Françoise et Jean-François Michel, sous le titre Histoire d'un bourg lorrain des bords de la Saône, t. I (1980) : 1605-1789; t. II (1981) -. 1789-1914. (Chez les auteurs, 3, avenue de Lattre-de-Tassigny, 57000 Metz.)

En complément des chapitres 2 et 3 de l'Histoire ancienne de Monthureux-sur-Saône, la consultation du Répertoire archéologique du département des Vosges (période gallo-romaine) de Maurice Toussaint (Epinal, Archives départementales, 1948) est indispensable.

Les vestiges gallo-romains exhumés sur le territoire de Tignécourt sont décrits dans une brochure de l'abbé Cossin, ancien curé de ce village, publiée à Epinal, en 1936, sous le titre Le camp romain de Neubéviller (commune de Tignécourt). On consultera, en complément, le Répertoire de Maurice Toussaint, déjà signalé.

[10]  Lettre sur d'anciens tombeaux en pierre trouvés à Tignécourt de Mangin, ancien notaire royal avocat à Darney, publiée dans les Annales de la Société d'Emulation des Vosges, 1834, p. 53.

[11]L'ancienne route de Bourbonne à Senaide, qu'on trouve actuellement derrière le cimetière de Bourbonne, se prolonge, au-delà de Senaide, jusqu'à la route D. 25, entre Ainvelle et Fresnes-sur-Apance. De là, elle se dirigeait vers Fouchécourt. Sa trace se perd aujourd'hui sous les parcelles remembrées, mais la carte au 1/25000e l'a conservée, avec son ancien nom, "Voie Julienne", à l'endroit où elle croisait la "Voie Saint-Pierre" (Chemin d'Ainvelle au Grand-Thon).

A travers le bois de Fouchécourt, c'est encore une large brisée.

[12]  Cf. le Répertoire archéologique de M. Toussaint, op. cit., pp. 3-4, note 1 : « Cette voie n'est pas portée sur les deux documents routiers ci-dessus (l'itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger), mais son existence est prouvée par des traces encore visibles aujourd'hui dans les champs de quelques villages des cantons de Lamarche, Monthureux-sur-Saône et Darney. »

Le Répertoire localise ces traces, pp. 75, 77, 76, 41, 43 et 31 : la voie romaine entrait dans le département des Vosges entre Mont-lès-Lamarche et Aureilmaison, passait à droite du chef-lieu de canton actuel de Lamarche, à gauche de Serocourt, de Marey, de Gignéville, de Viviers-le-Gras, de Saint-Baslemont. >

C'est le « Chemin des Romains e de la carte de Cassini (feuille n° 113).

[13]Sur les apports de la toponymie à notre connaissance de la civilisation gallo-romaine, Paul-Marie Duval a multiplié les conseils de prudence dans un ouvrage fondamental, La Gaule jusqu'au milieu du Ve siècle (t. I de la collection : Les sources écrites de l'Histoire de France jusqu'au XVe siècle d'André Molinier, Paris, Ed. Picard, 1971, 2 volumes).

[14] Les formes médiévales de notre tableau sont données par le Dictionnaire topographique des Vosges (Paris, Imprimerie nationale, 1943), les formes gallo-latines par le Dictionnaire des noms de lieux de France (Paris, Larousse, 1ère édition, 1963. Nouvelle édition, revue et augmentée, 1975).

Le dictionnaire des noms de lieux de France propose un nom d'homme gallo-romain (Darnos) ou latin (Attinius, Fidenius, Marius, Maletius) à l'origine des cinq formes gallo-latines reconstituées. On remarquera tout de suite que trois anthroponymes (Darnas, Attinius, Fidenius) sur les cinq proposés ne sont pas attestés. (Les noms de personnes attestés sur le territoire de l'ancienne Gaule, du VIe au XIIe siècle, sont répertoriés dans l'ouvrage de Marie-Thérèse Morlet, publié sous ce titre, en deux fascicules (Paris, Editions du C.N.R.S., 1968 et 1972) : tome I, Les noms issus du germanique continental et les créations gallo-germaniques; tome II, Les noms latins ou transmis par le latin.)

Cette recherche préférentielle d'un nom d'homme propriétaire de domaine derrière le nom ancien de lieu habité est née, à la fin du XIXe siècle, d'une thèse célèbre de d'Arbois de Jubainville : Recherches sur l'origine de la propriété foncière et des noms de lieux habités en France (1890) « qui semble avoir imprim une orientation décisive aux études de toponymie en France et dans plusieurs pays voisins » (François Falc'hun).

En France, cette recherche préférentielle, sans revêtir l'aspect systématique qu'elle prend dans la thèse de d'Arbois de Jubainville, reste très sensible dans les deux ouvrages principaux qui condensent les résultats des travaux d'un demi-siècle de toponymie française : Les noms de lieu de la France. Leur origine, leur signification, leurs transformations. Résumé des conférences de toponomastique générale faites à l'Ecole pratique des hautes études (Section des sciences historiques et philologiques) par Auguste Longnon, publié par Paul Marichal et Léon Mirot en cinq fascicules. (Paris, Librairie Champion, 1920-1929 ; réimprimé en deux volumes, 1968) et Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, dont Albert Dauzat a rédigé les articles des douze premières initiales (A-L) ; continué, après sa mort, par Charles Rostaing et publié sous le titre Dictionnaire des noms de lieux de France (Paris, Larousse, 1963).

Depuis les années soixante, une réaction se fait jour, en particulier avec les deux ouvrages publiés par Michel Roblin . Le terroir de Paris aux époques gallo-romaine et franque (Paris, Ed. Picard, 2e édition, 1971) et Le terroir de l'Oise aux époques gallo-romaine et franque (Paris, Picard, 1978).

On trouvera un exposé et une critique de la doctrine de d'Arbois de Jubainville dans les deux brochures publiées par François Falc'hun, sous le titre Les noms de lieux celtiques (Rennes, Ed. Armoricaines, t. I : Vallées et plaines, 1966, pp. 11-26; t. II : Problèmes de doctrine et de méthode. Noms de hauteurs, 1970, pp. 7-42).

[15] Les formes Darnei, Fignei et Malisei ont été affublées au Moyen Age d'un suffixe de nom de lieu, qui apparaît dans leurs formes les plus anciennes : Darneiacum (XIe siècle), Fignieiville (XIVe siècle), Maliseicurtis (XIe siècle). Le suffixe gallo-latin -acum aboutissant à la forme médiévale -ei (-ey ou -y en français moderne), Darnei est resté Darney. Mais Fignei est devenu Fignévelle (-velle est une prononciation régionale de -ville). Et Malisei est devenu Malisécourt, attesté au XVe siècle sous la forme Malizécourt, au XVIsiècle sous la forme contractée Malzécouft. Dans ce dernier cas, l'influence du nom du patron de l'église du village, saint Maurice, a fait évoluer Malizécourt en Maurizécourt (forme attestée vers 1600), écrit ensuite Morizécourt (forme attestée en 1606).

[16]André THÉVENIN, Les cimetières mérovingiens de la Haute-Saône, Paris, Société d'édition des Belles-Lettres, 1968, p. 44

[17] H. LEPAGE et Ch. CHARTON, Le département des Vosges. Statistique historique et administrative, Nancy, Peiffer, 1845, t. II, art. Fignévelle.

[18]Maurice TOUSSAINT, Essai sur la question franque Répertoire des métropoles et Sépultures isolées de l'époque franque découvertes en Lorraine. III. Département des Vosges ("Revue des questions historiques", mai-septembre 1938).

[19]  Annales de la Société d'Emulation des Vosges, années 1887 (p. 483) et 1888 (p. XIX), et bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques année 1888 (p. 209

[20] L. Vilminot, instituteur à Sauville (Vosges), conduisit à Sauville, de 1926 à 1935, les fouilles d'un cimetière mérovingien. Un rapport de Vilminot sur ces fouilles fut publié dans la Revue des Musées et Collections archéologiques (numéros 16-18, Dijon, 1929). Auteur d'un Essai de répertoire concernant les fouilles et trouvailles de l'époque barbare dans le département des Vosges, publié par les Annales de la Société d'Emulation des Vosges (numéros 110-115, 1934-1935), il fut un informateur précieux pour Maurice Toussaint, auteur lui-même d'un répertoire des nécropoles de la période franque en Lorraine (Essai sur la question franque, op. cit.). Maurice Toussaint rend hommage à Vilminot dans l'introduction à son Répertoire archéologique du département des Vosges. Période gallo-romaine. Douze cahiers de notes manuscrites de Vilminot ont été déposés, après sa mort (1943), aux Archives départementales des Vosges,

[21]  Charte de Brunon de Dabo, évêque de Toul, en faveur du prieuré de Deuilly (1044), dans Dom Calmet, H.L. (I), t. I, Pr., col. 418.

[22]  Le Dictionnaire des noms de lieux de France (p. 107) propose le nom d'homme germanique Buozrat à l'origine de Bousseraucourt, mais ne cite aucune forme ancienne du nom du village à l'appui de son hypothèse.

[23] Sur le royaume des Burgondes, en particulier sur l'attribution aux Burgondes d'une partie des domaines gallo-romains, consulter les deux études d'Alfred Coville, Recherche sur l'histoire de Lyon du Ve au IXe siècle (450-800), Paris, Ed. Picard, 1928 (en particulier pp. 187-192) et d'Odet Perrin, Les Burgondes. Leur histoire, des origines à la fin du premier royaume (534), Neuchâtel (Suisse), Ed. de la Baconnière, 1968 (en particulier pp. -347-359).

[24] Cf. Dom Calmet, Notice de la Lorraine (op. cit.) : "Ce lieu a encore été recommandable pour son commerce, puisqu'il était l'entrepôt des marchandises de Lyon et que Toul, Metz et Verdun venaient à Bleurville acheter ce qu'ils vont actuellement acheter à Lyon. »

[25] Dans Blederici villa et Bliderici villa, formes les plus anciennes de Bleurville relevées par le D.T.V., Blidericus (var. Bledericus) est un nom d'homme germanique en -ric (cf. Chilperic, Genséric, Théodoric) dérivé de l'élément onomastique Blid-, joyeux, heureux.

M.-T. Morlet (op. cit., t. I) a relevé dans le cartulaire de Gorze (a. 771) un autre nom d'homme germanique dérivé de Blid- . Blitharius.

Bleurville est donc un ancien "domaine de Blidéric".

[26]  Cf. Dictionnaire des noms de lieux de France, pp. 654 et 319.

Dans Seraucourt, forme ancienne de Serocourt, attestée au XVIIIe siècle (le chemin de Monthureux-sur-Saône à Serocourt est encore aujourd'hui la « Voie de Seraucourt » sur la carte au 1/25 000e), Serau- a pour origine le nom d'homme Serrald, dérivé de l'hypocoristique germanique Serra, attesté en Gaule (M.-T. Morlet, op. cit., t. 1). On retrouve Serrald dans Seraltmont, forrne la plus ancienne de Seraumont (Vosges, canton de Neufchâteau), relevée par le D.T.V.

La forme la plus ancienne, de Gignéville, relevée par le D.T.V., Gingi- villa, correspond exactement à la forme germanique Gingsheim, nom actuel d'une commune alsacienne (département du Bas-Rhin). On retrouve le nom d'homme germanique Ging sous la forme Geng, dans le dérivé Gengulfus, attesté en Gaule (M.-T. Morlet, op. cit., t. I).

[27] >Nous préférons  le terme de « vocable » à celui de « patronage » quand il s'agit de lieux de culte antérieurs à 1791 . "patronage" était, en effet, employé, en droit ecclésiastique, avant la Révolution, pour désigner "un ensemble de privilèges reconnus à tous ceux qui avaient fondé ou entretenaient une église sur leur domaine" (Imbart de La Tour, Les paroisses rurales du IVe au XIe siècle, Paris, Ed. Picard, 1900, réimprimé en 1979, p. 175).

[28] 27. Cf. La Haute-Saône. Nouveau dictionnaire des communes, t. II, p. 287.

[29]  E. EWIG, Die Kathedralpatrozinien im Römischen und im fränkischen Gallien, Historisches Jahrbuch, t. 79 (1960), pp. 1-61.

[30] Cf. La haute-Saône. Nouveau dictionnaire des communes, t. III, pp. 301-302 et 311 ; et Histoire de la Seigneurie de Jonvelle et de ses environs par les abbés Coudriet et Châtelet (Besançon, 1864), avec un plan de Jonvelle et une notice sur les églises de Jonvelle (pp. 422-430).

[31] E. EWIG, op. cit.

[32] Les premières églises étaient consacrées seulement au Christ ou à Notre Seigneur. On les trouve placées durant le Haut Moyen Age sous les vocables du Sauveur ou de la Sainte Croix (E. Ewig, op. cit.).

[33]  E. EWIG, op. cit.

[34]< 33. Cf. E. GRIFFE, La Gaule chrétienne à l'époque romaine, Paris, Letouzey et Ané, t. II, nouvelle éd. revue et augmentée (1966), pp. 308-309.

[35] E. EWIG, Le culte de saint Martin à l'époque franque, Revue d'histoire de l'Église de France, t. 47 (1961), pp. 1-18.

[36] 35. Sur la personnalité de saint Didier associé à saint Vallier (ou Valère), cf. Jean MARILIER, Quelques aspects du diocèse de Langres au VIIIe siècle, Langres, S.H.A.L., 1965.